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Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/246

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qui nous arrachent aux préoccupations mesquines de l’égoïsme, et qui, en nous initiant aux douleurs saintes de la sollicitude, nous remplissent aussi le cœur de joies infinies, quand l’objet de notre dévouement partage notre bonheur ou nous fait partager le sien, ce qui devient pour nous la même chose. Notre existence est donc doublée dès que nous aimons, et nous nous sentons deux fois plus forts en même temps que nous sommes devenus deux fois plus tendres, c’est-à-dire plus sensibles et plus vivants.

— C’est assez ingénieux, ce que vous dites là, répondit-il en quittant son pinceau et en cessant de tourmenter la vague de son stérile regard : cela paraît même vrai ; mais à quoi cela peut-il servir à celui dont l’intelligence et la sensibilité n’ont pas reçu plus de façons que ce rocher où nous voilà ?

— Ce rocher a été terriblement travaillé par le flot, Stéphen !

— C’est encore vrai : le flot a réussi à l’ébrécher. Ne voilà-t-il pas une belle chance que de s’émietter sous les coups d’un agent brutal qui ne se soucie ni de vous épargner ni de vous détruire ? Voilà la vie des hommes comme moi, Armand ! Ils se laissent battre par le destin, ne pouvant réagir et ils sont en droit de vous dire, comme Paulin Ménier dans le Courrier de Lyon : « Ne me demandez point de la sensibilité, j’en ai point ! »

Et il copia si bien l’accent farouche du célèbre acteur, et son mouvement saccadé en se détournant comme pour ne plus m’entendre, qu’il me causa un instant d’effroi.

— Les hommes comme vous, repris-je, ont beau faire pour se métamorphoser en rocher, ils ne vien-