Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/282

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reste, personne n’eût acceptée désormais. Son état d’ivresse était visible.

— Profitons-en, nous dit Bellac en arrivant au village, mettez-le dans une voiture quelconque, et que M. Stéphen le reconduise à son valet de chambre. Je ramènerai de mon côté mademoiselle Merquem à la Canielle. — Vous, ajouta-t-il en s’adressant à moi, écoutez ce qu’elle a à vous dire.

Tandis qu’il allait avec Stéphen organiser les moyens de transport et que Montroger sommeillait dans ma chambre, devenue la sienne, Célie prit mon bras et nous entrâmes dans le petit verger qui touchait à la maison, un délicieux fouillis de plantes folles et de buissons entre-croisés, sanctuaire charmant et parfumé, digne du premier moment d’effusion complète qui vint sur les lèvres de ma divine amie. Elle était encore pâle et tremblante d’émotion, mais elle semblait retrouver la vie en me parlant.

— Nous voici dans un lieu mystérieux, dit-elle en s’enfonçant appuyée sur moi dans ce labyrinthe de verdure ; c’est d’un bon augure, car nous entrons à pleines voiles dans le mystère. C’est peut-être là le vrai bonheur… Je n’eusse pas osé y aspirer. Il me semblait égoïste et indigne de nous de cacher notre amour ; mais on nous y force, et vous voyez que la raison ou la vie d’un malheureux est à ce prix. J’ai juré à Dieu et au souvenir de mon père qu’il ne serait pas sacrifié, il ne le sera pas ; mais vous sacrifier à lui serait insensé et odieux de ma part. Cela ne sera pas non plus. Nous nous marierons en secret, et, si l’on découvre nos relations, j’en serai quitte pour passer pour votre maîtresse. Je n’en serai pas humiliée, et je porterai gaiement ma prétendue faute, habituée que