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Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/38

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cessai de la regarder, craignant presque d’avoir à subir la même fatalité. Je me bornai à l’écouter, désirant peut-être découvrir un vide dans cette intelligence trop paisible pour être bien complète ; mais elle parla peu. Se sentait-elle observée ou avait-elle l’habitude de s’effacer ? Elle proposa aux demoiselles et aux jeunes gens de faire de la musique. Erneste avait une jolie voix et mourait d’envie de la faire entendre ce soir-là. C’est pourquoi elle se fit prier. Mademoiselle Merquem l’accompagna et la soutint si adroitement, que ma petite cousine eut l’air de savoir la musique. La châtelaine fit ensuite danser ce jeune monde, et je pensai d’abord qu’elle n’était nullement virtuose, tant elle y apporta peu de soin ou de prétention ; mais, quand je me mis à danser et à valser par complaisance pour les jeunes filles, je me sentis peu à peu enlevé comme par des ailes. Je tenais dans mes bras la petite Malbois, une ravissante créature de dix-huit ans, d’un éclat extraordinaire et d’une impétuosité délirante ; ingénue ou hardie, peut-être l’un et l’autre, elle avait un regard qui me grisa. J’oubliai tout pour folâtrer comme une mouche ivre de soleil dans un rayon de sensualité, et puis tout à coup l’accent et le rhythme de la valse entrèrent en moi comme le souffle d’un esprit qui épurait mon rêve et le détournait de cette idole d’un instant. Mademoiselle Merquem improvisait. Je m’arrêtai pour respirer et je la regardai. Elle ne paraissait voir et entendre personne, elle se croyait oubliée comme une machine employée au plaisir des autres, et elle se laissait aller au plaisir de rêver pour son compte. Sous ses doigts agiles et comme délivrés peu à peu de leur fonction mécanique, le piano brodait, sur le thème vulgaire qu’il avait dit