Aller au contenu

Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

» Pour vous donner une idée de la sollicitude qui l’entourait, je vous raconterai seulement un trait. L’enfant avait perdu récemment son père et sa mère, quand je la vis à la Canielle. L’amiral venait d’acheter cette terre et de s’y installer. Célie ignorait encore qu’elle fut orpheline. Elle l’ignora, elle attendit tantôt son père, tantôt sa mère ou son frère durant des années. Elle ne connut le désastre que lorsque le souvenir de ceux qu’elle avait aimés parut effacé de sa mémoire. Jusque-là, le grand-père sut lui cacher le secret de ses profondes douleurs et le faire garder par tous ceux qui l’approchaient. Il avait pour système que l’enfance ne doit pas connaître les larmes, et ne doit pas savoir seulement le nom de la mort.

» Cette éducation, qui eût pu produire un monstre d’égoïsme, ne fit que développer la tendresse et la bonté innées chez Célie. On ne lui parlait jamais de devoirs envers qui que ce soit. Elle en devina, il semble qu’elle en inventa toute seule la notion. Outre qu’elle ressemblait prodigieusement à l’amiral par la figure, elle avait son âme. Elle s’en servit. Il n’y eut pas pour elle d’autre enseignement que le spectacle de ses vertus.

» Elle apprit très-tard, à treize ou quatorze ans, c’est elle qui le raconte, ce que les autres enfants apprennent à six ou sept ; mais, dès qu’elle eut commencé à exercer son attention et sa mémoire, elle eut soif de s’instruire, et, comme on avait Bellac sous la main et que le grand-père était lui-même versé dans les sciences, elle passa rapidement de l’ignorance absolue à des connaissances exceptionnelles chez les femmes. Ce qu’elle sait, je ne peux pas l’apprécier, et