Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/111

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avoir été d’abord bien chétive. La Mariotte travaillait comme deux, et mes cousins comme quatre, à cause de la bonne nourriture que nous leur faisions sans rien gaspiller ; le vieux Dumont, qui était encore leste, faisait les courses et commissions et n’entendait pas mal le jardinage. Mais il faut dire que cet homme, le meilleur et le plus désintéressé du monde, avait un défaut. Il buvait le dimanche et rentrait toujours ivre ce soir-là ; — il ne dépensait que son propre argent et n’était pas méchant dans le vin. Le prieur le sermonnait et, tous les lundis, il jurait de ne pas recommencer.

Quant à moi, j’étais la plus heureuse de la colonie. Je me voyais utile à des personnes que j’aimais plus que tout, et je trouvais dans mon activité et dans ma force de corps et de volonté, une gaîté que je n’avais jamais connue. À seize ans, j’étais déjà aussi grande que je le suis à présent, point belle du tout, la petite vérole m’ayant laissé des traces qui se voyaient encore un peu ; mais j’avais, disait-on, une bonne figure qui donnait confiance, et M. Costejoux, qui venait quelquefois, disait que je me tirerais de tout dans la vie parce que je saurais toujours me faire des amis. J’étais contente qu’il me dît cela devant Émilien, qui, tout aussitôt, me prenait la main, la serrait dans les siennes et ajoutait :

— Elle en aura toujours un qui la considérera et la traitera comme sa sœur et sa pareille.

Il disait la vérité, nous nous aimions comme si la même mère nous eût mis au monde. Dumont me parlait souvent de la mienne, qui avait été servante à Franqueville et qu’il avait bien connue. Il disait que