Aller au contenu

Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rêter !

Je regardai de tous côtés. Rien ! Je rechargeai l’âne sans savoir ce que je faisais, sans me demander ce que j’allais faire. Je regardai encore, j’aperçus loin, bien loin, deux hommes sur le petit chemin que nous avions parcouru la veille. Combien je me tourmentai, tant qu’il ne me fut pas possible de les reconnaître ! Enfin, je les distinguai bien ; c’était Émilien ramenant notre pauvre Dumont, encore bien abattu, car il lui donnait le bras et activait sa marche.

Nous nous remîmes en route tout de suite. Dumont ne nous parlait pas, Émilien me fit signe de le laisser se ravoir peu à peu. Nous n’avions pas besoin de ses indications pour marcher droit à notre but sans nous attarder aux détours et croisements. Outre l’étude que j’avais faite du pays sur la carte, nous avons, nous autres Marchois, un sens particulier pour voyager à vol d’oiseau. Il n’y a pas bien longtemps que nos émigrations d’ouvriers allaient encore ainsi à Paris et dans toutes les grandes villes où l’on emploie des escouades de maçons. Avant les chemins de fer, on les rencontrait par grandes ou petites bandes sur tout le territoire, et, comme ils passaient partout à travers champs, on s’en plaignait beaucoup.

Pendant la Terreur, on n’en vit plus et nous pûmes circuler dans le désert. Nous descendîmes le cours d’un ruisseau qui s’appelle le Gourdon, mais sans descendre dans le petit ravin où il coule et où il y a quelques moulins et habitations ; nous le quittâmes à la forêt de Villemort pour aller traverser à gué la Bordesoule ; puis, ayant passé le chemin qui mène à Aigurande, nous prîmes sur notre gauche, et, après une journée de sept à huit lieues, nous entrâmes enfin, sans passer