Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/214

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— Et moi, lui dis-je, vous ne me comptez pas ?

— Non, reprit-il, je ne te compte pas avec les autres. Toi ! c’est avant tout, c’est plus que tout. Je ne t’ai pas seulement remerciée, et j’espère que tu as compris.

— Mais… non, pas trop !

— Ah ! c’est que tu ne sais pas…, c’est vrai, tu ne sais pas du tout ce que tu es pour moi ! Tu te crois ma servante, la future servante de ma femme et de mes enfants ! Je me souviens, c’est convenu !

Et il se mit à rire en couvrant mes mains de baisers, comme si j’eusse été sa mère. Je ne pus m’empêcher de le lui dire.

— Bien ! reprit-il, sois ma mère, je veux bien, car je me figure que, si j’en avais eu une véritable, je n’aurais aimé qu’elle au monde. Prends donc pour toi tout le respect, toute la tendresse, toute l’adoration que j’aurais eus pour elle.

Puis il mit tranquillement ma main sous son bras et reprit sa promenade avec moi le long des prunelliers. Je faisais ma petite récolte pour le vin d’hiver, car Émilien avait fabriqué un cuvier et un tonneau, et nous savions préparer notre humble vendange. Il ne me parla plus ce jour-là, que de nos soins domestiques, et il faut dire qu’il me parlait bien rarement, et toujours en peu de mots, de son affection pour moi ; mais c’était toujours si bien dit et d’un air si résolu, que je ne pouvais pas en douter.

Les visiteurs ne reparurent pas. Nous étions à plus de deux lieues de Crevant, et, de tous les autres côtés, il n’y avait que des chaumières si disséminées, que la plus proche de nous en était encore assez