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Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/219

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le frisson qui lui avait passé par le corps. Dumont, qui avait été longtemps triste comme un homme nourri de remords et privé d’excitant, voulut secouer son chagrin. Nous l’aimions tant qu’il se voyait bien pardonné. Il entonna donc, d’une voix grêle, une chanson de table qui probablement était grivoise, car, sur une parole d’Émilien, il l’interrompit tout d’un coup et se mit à chanter un noël.

Il arrivait à la moitié du second couplet, lorsqu’un cri rauque des plus bizarres et tout à fait inexplicable passa, en se prolongeant, le long de la maison et se perdit dans la direction de la Parelle, le plus gros bloc dans notre voisinage[1].

Nous écoutâmes avec attention. Nous étions assez habitués aux cris des loups et aux glapissements des renards pour être sûrs que c’était une autre voix, une voix humaine, peut-être. Dumont prit un bâton et ouvrit la porte doucement. Nous entendîmes alors des paroles qui n’avaient aucun sens, mais qui étaient bien des paroles dites d’une vieille voix de femme tout éperdue de colère et de peur. Nous cherchâmes à rejoindre ce fantôme qui fuyait à travers les fougères desséchées ; mais il se perdit dans l’ombre et ne reparut pas.

— Voulez-vous parier, nous dit Dumont, que c’est une sorcière qui venait, à l’heure de la _ci-devant _messe de minuit, faire une conjuration sur la grosse pierre ?

— Tu as raison, dit Émilien, les choses doivent se passer ici comme chez nous. On croit que ces pierres celtiques sont enchantées, qu’elles dansent à minuit

  1. J’ai su depuis, que c’était la Par-ell, en celtique, la haute pierre du feu, le grand autel des druides.