Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/240

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la hauteur du bois, de grandes éclaircies s’étaient faites toutes seules, car les arbres morts n’avaient point été enlevés et rien n’était entretenu ni recueilli. Les gros cailloux reparaissaient dans cette région. Il y en avait que d’antiques châtaigniers avaient enlevés de terre en étendant leur chair à l’entour, et qu’ils portaient fièrement dans leur ventre ouvert, montrant cet œuf monstrueux avec orgueil, comme pour accuser la force de leur sève.

Mais le plus beau, c’était la partie moyenne du bois, qui, n’ayant ni trop de rochers ni trop d’eau, avait produit des hêtres d’une taille colossale, droits comme des cierges et tellement feuillus à la cime, que la clarté du jour semblait verte sous leur ombrage, comme un clair de lune. Un moment, Émilien en fut saisi.

— Est-ce que c’est la nuit ? me dit-il ; il me semble que nous sommes dans une forêt enchantée. Peut-être que les forêts vierges dont j’ai ouï parler sont faites comme cela, et que, si nous allions bien loin pour les voir, nous serions surpris d’en avoir déjà vu un échantillon au cœur de la France.

Ce bois merveilleux a existé longtemps encore après la Révolution. À présent, hélas ! il n’existe plus qu’à l’état de taillis ; mais le pays est cultivé, habité, et les terres y sont aussi chères et aussi recherchées que dans le Fromental. Il y a cependant encore des collines et des vallons assez étendus dont les arbres, d’un âge incalculable, peuvent présenter un spécimen de la Gaule primitive dans son intégralité. Les carriers ont repris possession des pierres druidiques et la grande parelle est entamée ; mais il y a encore tant de blocs