Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/267

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me sacrifiant. Je ne m’accordai pas le droit d’être faible et de faire l’amoureuse qui souffre et se plaint : cela me parut au-dessous de moi, et j’avoue que j’étais très fière pour moi-même, depuis que je me savais aimée si grandement. Je résolus de me contenter de ce bonheur-là dans ma vie. C’était bien assez de pouvoir garder une si douce idée, un si beau souvenir. Le reste de mes jours serait employé à récompenser Émilien de la joie que j’en ressentais et à me dévouer à lui sans plus jamais songer à moi-même. Un jour, Dumont me dit :

— Il faut que j’aille revoir l’île aux Fades. Notre défrichement a donné, paraît-il, une récolte superbe. Notre ami Boucherot, qui a des parents de ce côté-là, s’y est rendu et a surveillé la moisson. Il a donné au propriétaire le compte de gerbes qui était convenu et a engrangé le reste dans notre maison de cailloux. Les gens du pays sont très honnêtes, et, d’ailleurs, ils craindraient de fâcher les fades en brisant le cadenas que Boucherot a posé sur leur aire. Pourtant, il faut prendre un parti, car notre loyer expire dans quelques jours. Nous n’avons pas les moyens d’apporter ici ce tas de paille et de grain. Je vais aller voir s’il ne vaut pas mieux le battre et le vendre là-bas.

— Allez, lui dis-je, c’est bien vu. Ce sera de l’argent qui appartiendra à Émilien et à vous. Moi, je n’ai pas travaillé, je n’y prétends rien.

— Tu n’as pas travaillé ? quand tu n’étais occupée qu’à nous procurer la nourriture et le gîte ? Sans cela, certes, nous n’eussions pas fait grand ouvrage ; nous partagerons donc, Nanon ; mais, comme ce que j’ai est destiné à Émilien, et que… sans le vouloir…, sans