Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/77

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toujours assez bien après un jour passé, pourvu qu’on ne parle pas du jour à venir. Eh bien, peut-être qu’ils ont raison et que je vais me donner beaucoup de peine dont ils ne me sauront point de gré. Je suis si jeune ! est-il possible qu’à mon âge je puisse gouverner un bien qui vaut cent francs ? Ils vont me taquiner. Qu’est-ce que vous me conseillez, vous qui peut-être penserez comme eux ?

— Je ne pense plus comme eux, répondit-il, nous pensions, eux et moi, que plus on s’inquiète d’être mieux, plus mal on se trouve, et, pour mon compte, j’avais résolu de vivre au jour le jour sans m’occuper du lendemain. Mais, depuis l’an passé, j’ai bien changé, Nanon. J’ai réfléchi en écoutant ce que disaient les moines. Ils ne m’ont appris ni latin ni grec ; mais ils m’ont laissé voir leur mauvaise volonté pour le bonheur de ces pauvres dont ils se disent les pères et les tuteurs. En les voyant rire de l’épargne et du travail, encourager la fainéantise et dire que cela ne peut pas changer, j’ai résolu de me changer moi-même et j’ai rougi d’être un fainéant. J’ai travaillé, oui, petite, j’ai beaucoup appris tout seul, tout en courant les halliers et les bruyères. Il faut bien que j’agite mon corps et que je remue mes jambes. Songe donc ! je n’ai que dix-huit ans, je suis maigre comme une chèvre, et, comme une chèvre, j’ai besoin de courir et de sauter. Mais je pense malgré tout ; je suis souvent seul quand les autres travaillent et tu ne me vois plus courir avec les petits enfants plutôt que d’être sans compagnie. Tu vois aussi que, quand je veux parler, je viens à bout maintenant de dire quelque chose : c’est que j’ai quelque chose dans la tête. Je ne sais pas bien encore ce que