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Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/249

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Elle avait eu très-chaud. L’ardeur du foyer séchait la sueur sur ses joues transparentes, et se reflétait en saphirs étincelants dans ses yeux bleus. Ses cheveux, ébouriffés par le vent, voltigeaient encore comme un nuage doré autour de son petit front découvert, luisant comme un marbre. Ce n’était plus la pâle et grêle madone byzantine ; c’était un de ces beaux enfants que Rubens semble avoir peints aux reflets de la nacre.

Cette illusion de jeunesse adolescente, qui, chez elle, était produite par la délicatesse des lignes et l’expression de candeur, fut si complète, en ce moment, par l’éclat du teint et l’animation du regard, que Narcisse, assis à côté d’elle, m’apparut, dans sa beauté colossale, comme un contraste invraisemblable. Il ne pouvait pas ressembler au mari, mais au père de cette petite fille. Sylvie elle-même, avec ses formes solides et sa grosse tête, était trop accusée, trop réelle auprès de sa mère adoptive.

Je me rappelai le premier jour où, après six mois d’absence, je l’avais revue, au clair de la lune, dans le jardin de Narcisse, et où j’avais été ravi et en même temps effrayé de cette sorte d’immatérialité qui la caractérisait en ce moment-là. Maintenant, il me semblait la voir pour la première fois vivante, mais d’une vie qui ne pouvait se mêler à celle d’aucun être de ce monde, et une sorte de douleur inexplicable me pénétra. Peu à peu, la salle devint sombre ; on n’avait pas encore allumé les