Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/148

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nous ne comprenions rien du tout à ce qui se passait, nous sentions que Coquelet était mieux conseillé par son cœur que nous ne l’aurions été par la raison.

— Oui, oui, criait Bergerac, qui se montait aussi à l’idée d’une collision, quand même ce serait Barbès qui tirerait sur la blouse, et quand même la blouse cacherait Guizot, malheur à qui touchera la blouse ! Coquelet a raison ; voilà toute notre politique, a nous autres ! Nous ne voulons pas qu’il arrive à Paris ce qui est arrivé à Rouen, et, si ces messieurs cherchent des prétextes contre nous, nous n’en aurons pas besoin contre eux.

Je te vois d’ici, ma pauvre petite femme, trembler et pâlir à l’idée de tout cela. Je t’avoue que tu aurais eu un peu sujet d’avoir peur, si tu avais pu mettre la main sur mon cœur dans un pareil moment ; car il battait bien fort, et pourtant tu sais que je ne suis ni un rageur ni un raisonneur ; mais c’est que, vois-tu, il est malheureux que, de part ou d’autre, on joue avec l’émotion des gens comme nous. Il ne faudrait pas la provoquer pour rien, et nous faisons bien tout notre possible pour ne pas nous émouvoir pour ou contre les noms propres. On ne peut pas dire que, depuis le 24 février, nous ayons manqué de raison et de patience. Nous nous sommes tenus à quatre pour ne pas prendre part aux querelles des hommes politiques. Mais il ne faut pas que la bourgeoisie soit moins sage que nous ; car, si, pour nous imposer ses messieurs, elle nous fait trop battre le rappel aux oreilles, nous pourrions bien lui ôter le haut du pavé.