Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/383

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surtout ce que la réalité des êtres et des objets lui fait éprouver avec l’interprétation que l’art met sous ses yeux. Ne faisons-nous pas tous comme lui quand nous ne sommes pas praticiens dans l’art qui nous charme ? et où trouverons-nous de plus aimables ciceroni que ceux qui voient et sentent vivement. Quand même nous ne serions pas toujours de leur avis sur la chose jugée, n’aurions-nous pas, en revanche, un plaisir extrême à nous promener en rêve dans ces tableaux que leur fantaisie nous trace ?

C’est un déshérites frappants du livre de M. Zacharie Astruc. Un monde de couleurs, de formes, d’idées, de compositions, tourbillonne dans son style et déborde ses discussions. Que le peintre dont il nous parle le ravisse ou le fâche, il lui arrache sans façon sa palette, et le voilà de peindre à sa place. C’est-à-dire qu’à l’aide d’un autre art, la parole, il explique ou refait à sa guise le sujet traité par le pinceau. Ses tableaux sont charmants, donc on les accepte ; charmants aussi les dialogues qu’il établit entre les personnages, et même entre les objets représentés sur la toile. On sent là une heureuse prodigalité de talent et l’amour du beau poussé jusqu’à l’enthousiasme.

Nohant, 19 août 1859.