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Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/93

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vos oreilles, vivre dans la rue, dans les champs, terre à terre avec le prolétaire de tous les métiers. L’autorité d’un seul est le signal d’une guerre sociale. Si vous ne le voyez pas, c’est que l’apparence vous trompe, c’est que le succès du jour vous paraît un symptôme grave ; c’est que la majorité vous semble l’élément où repose l’exercice de l’autorité. Moi, je crois que l’unanimité est le seul gouvernement possible dans l’idéal, et la majorité le seul gouvernement possible dans la pratique très prochaine du temps présent. Mais il est des heures terribles dans la vie des peuples, où la vertu pratique consiste à transiger avec les minorités. La majorité de l’heure révolutionnaire où nous sommes est tellement flottante, qu’un instant, un fait peuvent la déplacer brusquement. Nous ne vivons pas dans un temps ordinaire, et l’humanité n’est point dans des conditions normales. À la suite du règne de la corruption et de l’étouffement, nous sommes obligés de lutter souvent contre nous-mêmes. Aucun de nous n’a la mesure bien juste de ses propres forces, ni la conscience bien calme de ses propres besoins. L’exercice de la liberté nous enivre ou nous stupéfie. Le malheur nous exalte ou nous abrutit. Le soupçon est entré dans tous les cœurs, et, par cela même, des élans d’une confiance aveugle en certaines idées, en certains hommes, confiance qui devrait glacer d’épouvante ceux qui en sont l’objet ; car elle leur impose une responsabilité à laquelle ne suffit aucune force humaine. Nous traversons une nuée d’orages ; nous la traversons heureusement, et