Page:Sand - Souvenirs et Idées.djvu/75

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porté à faux est une faute plus grave qu’une parole échappée à l’émotion en présence d’un auditoire qui est là pour se défendre ou se renouer.

Oui, c’est surtout cet isolement, cette impunité de l’homme écrivant sa pensée, qui m’a toujours frappé comme un acte grave et que notre conscience doit peser avant de l’accomplir. Eh quoi ! je suis retiré au fond de ma chambre, seul avec ma plume qui est discrète, et mon papier qui va, sans objection et sans résistance, recevoir l’arrêt de mort morale qu’il me plaira d’y tracer contre un de mes semblables ! Et cet homme n’est point là, il ne le sait pas !

Quand il le saura, si j’ai frappé juste, si je l’ai bien désigné, bien visé, bien touché au cœur, il sera trop tard peut-être pour qu’il se disculpe ! Il sera tué déjà dans la pensée de dix mille, de cent mille lecteurs. Mais ce n’est pas un meurtre que j’ai commis, c’est un assassinat ! J’ai frappé dans l’ombre, j’ai porté une atteinte que nul bras ne pouvait détourner.

Une calomnie ou une révélation verbale, ce n’est rien en comparaison d’une calomnie ou d’une révélation écrite et imprimée. Si ma pa-