Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/337

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MOLIÈRE.

Quoi ! Madeleine, l’amitié s’accommode-t-elle de la jalousie ?

MADELEINE, tressaillant.

L’amitié est jalouse de confiance. Écoutez, Molière : je veux la vôtre, je l’exige. Montrez-moi le fond de votre cœur. Sentez-vous de l’amour pour Armande ? S’il en est ainsi, je vous demande de ne me le point cacher. Je redoublerai de soins pour rendre ma sœur digne de vous, et je lui servirai véritablement de tutrice et de mère, pour joindre son sort au vôtre dès qu’elle sera en âge de se marier.

MOLIÈRE, un peu ému.

Parlez-vous sérieusement, Madeleine ?

MADELEINE, émue, mais se contenant.

Je vous le jure par notre amitié même.

MOLIÈRE.

Eh bien, moi, par le respect que je vous porte, je jure que je n’ai jamais songé au mariage sans frayeur et sans aversion. Je suis l’homme de la terre le moins capable de se fixer dans des liens éternels ; non que j’aie le caractère volage : l’inconstance, c’est de l’ingratitude, et, d’ailleurs, je serais porté à trop de jalousie pour vouloir donner à ma femme l’exemple de l’infidélité ; mais, pour avoir une compagne, il faut la rendre heureuse, et la mienne ne trouverait point son compte dans les choses qui me préoccupent. Vous savez bien que je n’ai qu’une passion, celle du théâtre, que j’y ai tout sacrifié, mes parents, mon avenir et moi-même. Héritier d’un certain fonds de commerce et d’une charge assez lucrative dans la maison du roi, fils de famille, avocat… diplômé, s’il vous plaît ! ne m’avez-vous point vu quitter tout pour m’attacher à une profession misérable et que le monde considère comme dégradante ? J’y fus poussé par une force inconnue, par un entêtement de ma destinée encore plus que de ma volonté. Et encore que je ne voie point la fin de mes traverses, de mes fatigues et de mon obscurité, rien ne me fera renoncer à mon dessein. J’y veux donner tout mon temps,