Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/375

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Cet homme, c’était Molière, le divin Molière, qui faisait alors dans le monde une assez pauvre figure, mais en qui je ne sais quel air de franchise, de grandeur et de sagesse, me fit pressentir un homme au-dessus du commun. Aussi n’a-t-il jamais fait imprimer une pièce que je ne l’aie lue avec avidité et je sais le Misanthrope. Corneille est le bréviaire des rois, Molière est celui de tous les hommes.

MADELEINE.

Ah ! que Molière ne peut-il entendre les paroles de Votre Altesse ! je les veux retenir pour les lui redire.

ARMANDE.

En vérité je ne le croyais point si célèbre ; je voyais bien qu’il divertissait agréablement la cour et la ville ; mais je n’aurais point pensé qu’on parlât de lui jusque dans tous les pays que Votre Altesse a parcourus, ni que sa renommée fût si chère qu’elle l’est au grand Condé.

CONDÉ.

C’est que, vivant au foyer même de cet astre, vous ne pouvez point voir jusqu’où ses rayons s’étendent. Et puis c’est le propre de la jeunesse et de la beauté d’être fières d’elles-mêmes et de ne vouloir briller que de leur propre éclat. On ajoute au récit de vos perfections, mesdemoiselles, l’éloge de votre vertu ; et, comme la vertu vaut la gloire, je me plais à vous rendre hommage… Mais j’entends un grand mouvement : c’est peut-être que la comédie finit ?

MADELEINE.

Oui, monseigneur ; Molière vient se reposer ici pour un moment avant le ballet. Je cours lui dire…

CONDÉ.

Non, de grâce, laissez-moi aller avec vous. Je le veux embrasser sans préambule et voir s’il me reconnaîtra à première vue.

Il l’invite à passer devant lui.
MADELEINE.

J’obéis.

Ils sortent.