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Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/127

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parlant une langue sublime ou chantant une musique céleste, des poëtes égaux à tous ceux dont l’humanité garde religieusement la mémoire, des artistes de premier ordre, des décors enchanteurs, des harmonies enivrantes, et tout cela sans tache, sans défaillance, sans ombre, en face d’un public d’élite, au sein d’une société qui verserait et recevrait la lumière, et dont il serait doux d’être tour à tour le reflet et le modèle.

Mais laissons le rêve irréalisable, et disons-nous que, où l’on soit, il faut faire tout ce que l’on peut. C’est toujours une grande consolation que de sentir cette volonté inébranlable au dedans de soi. Et, quand on se place sincèrement à ce point de vue, on se sent très-solidement assis. Les impatiences, les dégoûts et les déboires attachés à tout travail humain passent sans laisser de traces. Rien ne ramène le calme comme la bonne foi dans la modestie, et il est facile d’être courageux quand on sait immoler avec plaisir sa personnalité à une tache plus chère que soi-même.

C’est en voyant le théâtre tomber parfois dans l’estime publique au niveau d’un amusement vulgaire, que l’on sent le désir d’y ramener le souvenir des grands écrivains, et d’y faire revivre celles de leurs pensées qui n’ont jamais reçu chez nous le droit de cité qu’elles devraient avoir dans le monde entier de la civilisation. Shakspeare n’était sans doute pas plus austère que son siècle. À cette époque, où son théâtre résumait tous les genres divisés et attribués, chez nous, à divers théâtres en raison des divers goût du public, le maître immortel, passant du drame sanguinaire le plus atroce au burlesque le plus échevelé, subissait dans son œuvre le reflet des passions violentes et des goûts cyniques de ses contemporains. Il a marché sur la fange des carrefours avec autant de verve et d’audace qu’il a plané dans les cieux avec splendeur et majesté. Mais, s’il n’a pas été plus pur et plus doux, dans toutes ses inventions, que le temps dont il était la plus haute expression littéraire, il a été plus grand et meilleur que son siècle tout entier, dans les parties saines de