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Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/135

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paysans font des vœux si modestes, que j’aurai peu de peine à les contenter.

MERCURE.

Oui, le premier jour, parce qu’ils ne connaissent pas l’emploi des richesses ; mais ils seront, bientôt dévorés d’une soif ardente, et ils te feront travailler comme un esclave !

PLUTUS.

S’ils ont soif, que Bacchus les désaltère ! Ils me demandent ce que je ne puis leur donner ; je ne suis pas chargé de la fécondité du sol. Je leur promettrai tout ce qu’ils voudront ; ils me nourriront, ils m’engraisseront, et je vivrai dans un doux repos.

MERCURE.

Mais songe donc que je ne puis souffrir cela ! Depuis hier que tu es absent de la cité, tout dépérit déjà. Les marchands voient leurs boutiques désertes. Les gros commerçants tremblent devant le spectre de la banqueroute assis à leurs comptoirs. Les avocats ne veulent plus défendre leurs clients, ni les médecins assister leurs malades ; les juges menacent de rendre des arrêts équitables, les courtisanes parlent de devenir vestales. On ne peut plus corrompre la jeunesse ; les espions et les dénonciateurs veulent se pendre ! Que veux-tu que je devienne sans toi, moi le nerf des échanges et l’agent des transactions ? Veux-tu donc déplacer le foyer de l’activité humaine et donner la suprématie à ces grossiers paysans, ennemis des arts, du luxe, de l’élégance et du beau langage ?

PLUTUS.

Tout ce que tu dis là ne me touche pas. Je suis ici par l’ordre de Jupiter, et j’y reste.

MERCURE.

Jusqu’à ce soir.

PLUTUS.

Toujours.

MERCURE.

Mais songe à l’avarice des paysans ! Ils te lieront à un joug, ils t’enfouiront dans les cavernes !