Page:Sand - Tour de Percemont.djvu/278

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elle ne pleurait pas de voir pleurer ma mère ; mais elle était toujours là et réussissait à la distraire. Elle est à coup sûr généreuse et bonne, courageuse et fidèle.

» Si j’avais dix ans de moins et cent mille francs de plus, j’aurais certainement aspiré à en faire la compagne de ma vie. Elle ne m’eût pas inspiré l’amour, je ne le crois pas du moins ; elle m’eût inspiré une haute estime, une confiance sans bornes, c’eût été bien assez pour être heureux… Non ! je ne serai jamais heureux dans ces conditions-là. J’ai aimé, j’ai aimé passionnément, sans espoir et sans expansion. L’amour est un délire, un enthousiasme, un rêve qui ne peut naître que d’un état de choses impossible et violent. Quand on a eu la joie et le désespoir de le ressentir, les unions sûres et paisibles n’ont plus ni charme ni vertu pour guérir ces brûlures profondes. Dès lors pourquoi faire le malheur d’une honnête et digne créature qui n’en peut mais ?

» Le malheur… Marianne serait-elle capable de souffrir du plus ou moins d’affection ?… Oui, si elle était capable d’aimer, mais il n’est pas probable qu’elle le soit. De quinze à vingt-cinq ans, la vie d’une femme subit l’orage des sens ou de l’imagination, et Marianne a traversé cette crise redoutable sans dire un mot, sans faire un pas pour s’y jeter ou s’y soustraire. C’est une âme froide ou forte ; à présent, elle est sauvée,