Page:Sand - Tour de Percemont.djvu/97

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et puis tout à coup furieux. La jalousie m’a torturé, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Si elle eût été là, je l’eusse insultée, battue peut-être ! J’étais donc épris d’elle en la croyant avilie. J’ai eu toutes les peines du monde aujourd’hui à ne pas aller chez elle malgré sa défense et la tienne. À présent tu m’apprends que j’ai été un fou et un sot, tu me montres l’image d’Émilie avec son auréole immaculée, et me voilà abattu et repentant, mais incertain et craintif. Je ne sais plus si je l’aime !

— C’est bien, c’est bien, répondis-je, je comprends toutes choses à présent ! Cela devait arriver. Il y a un moment dans la vie où les pères les mieux intentionnés sont forcés d’abandonner leurs fils à la fatalité, bien heureux quand elle ne les leur rend pas plus détériorés que tu ne l’es ! Acceptons les faits accomplis et ne les aggravons pas par des réflexions trop sérieuses. Tu as fait un voyage où tu as été forcé de manger du piment, et aujourd’hui nos fruits et nos laitages te semblent fades. Tu n’es plus un berger de Virgile. Patience ! ça reviendra ! L’homme se modifie suivant son milieu, tu en arriveras plus vite que tu ne penses à apprécier les conditions du vrai bonheur. Pour le moment, oublie un peu la question du mariage. Émilie ne me paraît pas disposée à te la rappeler. Elle dit qu’elle ne te connaît plus, et son