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Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/128

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trouva que des sanglots pour exprimer sa douleur et sa honte.

— Allons, ma chère Valentine, dit-il enfin en s’efforçant de prendre un air ouvert et caressant, trêve de puérilités ! Voyons, que pouvez-vous avoir à me dire ? Il me semblait que nous étions parfaitement d’accord sur tous les points. De grâce, ne perdons pas de temps ; Grapp m’attend, Grapp est impitoyable.

— Eh bien, Monsieur, dit Valentine en rassemblant son courage, je vous dirai en deux mots que j’ai à implorer de votre pitié : emmenez-moi.

En parlant ainsi, elle courba presque le genou devant le comte, qui recula de trois pas.

— Vous emmener ! vous ! y pensez-vous. Madame ?

— Je sais que vous me méprisez, s’écria Valentine avec la résolution du désespoir ; mais je sais que vous n’en avez pas le droit. Je jure, Monsieur, que je suis encore digne d’être la compagne d’un honnête homme.

— Voudriez-vous me faire le plaisir de m’apprendre, dit le comte d’un ton lent et accentué par l’ironie, combien de promenades nocturnes vous avez faites seule (comme hier soir, par exemple) au pavillon du parc depuis environ deux ans que nous sommes séparés ?

Valentine, qui se sentait innocente, sentit en même temps son courage augmenter.

— Je vous jure sur Dieu et l’honneur, dit-elle, que ce fut hier la première fois.

— Dieu est bénévole, et l’honneur des femmes est fragile. Tachez de jurer par quelque autre chose.

— Mais, Monsieur, s’écria Valentine en saisissant le bras de son mari d’un ton d’autorité, vous avez entendu notre entretien cette nuit ; je le sais, j’en suis sûre. Eh bien, j’en appelle à votre conscience, ne vous a-t-il pas prouvé que mon égarement fut toujours involontaire ? N’avez-vous pas compris que si j’étais coupable et odieuse à mes propres yeux, du moins ma conduite n’était pas souillée de cette tache qu’un homme ne saurait pardonner ? Oh ! vous le savez bien ! vous savez bien que s’il en était autrement, je n’aurais pas l’effronterie de venir réclamer votre protection. Oh ! Évariste, ne me la refusez pas ! Il est temps encore de me sauver ; ne me laissez pas succomber à ma destinée ; arrachez-moi à la séduction qui m’environne et qui me presse. Voyez ! je la fuis, je la hais, je veux la repousser ! Mais je suis une pauvre femme, isolée, abandonnée de toutes parts ; aidez-moi. Il est temps encore, vous dis-je, je puis vous regarder en face. Tenez ! ai-je rougi ? ma figure ment-elle ? Vous êtes pénétrant, vous, on ne vous tromperait pas si grossièrement. Est-ce que je l’oserais ? Grand Dieu, vous ne me croyez pas ! Oh ! c’est une horrible punition que ce doute !

En parlant ainsi, la malheureuse Valentine, désespérant de vaincre la froideur insultante de cette âme de marbre, tomba sur ses genoux et joignit les mains en les élevant vers le ciel, comme pour le prendre à témoin.

— Vraiment, dit M. de Lansac après un silence féroce, vous êtes très-belle et très-dramatique ! Il faut être cruel pour vous refuser ce que vous demandez si bien ; mais comment voulez-vous que je vous expose à un nouveau parjure ? N’avez-vous pas juré à votre amant cette nuit que vous n’appartiendriez jamais à aucun homme ?

À cette réponse foudroyante, Valentine se releva indignée, et regardant son mari de toute la hauteur de sa fierté de femme outragée :

— Que croyez-vous donc que je sois venue réclamer ici ? lui dit-elle. Vous affectez une étrange erreur, Monsieur ; mais vous ne pensez pas que je me sois mise à genoux pour solliciter une place dans votre lit ?

M. de Lansac, mortellement blessé de l’aversion hautaine de cette femme tout à l’heure si humble, mordit sa lèvre pâle et fit quelques pas pour se retirer. Valentine s’attacha à lui.

— Ainsi vous me repoussez ! lui dit-elle, vous me refusez un asile dans votre maison et la sauvegarde de votre présence autour de moi ! Si vous pouviez m’ôter votre nom, vous le feriez sans doute ! Oh ! cela est inique, Monsieur. Vous me parliez hier de nos devoirs respectifs ; comment remplissez-vous les vôtres ? Vous me voyez près de rouler dans un précipice dont j’ai horreur, et quand je vous supplie de me tendre la main, vous m’y poussez du pied. Eh bien ! que mes fautes retombent sur vous !…

— Oui, vous dites vrai, Valentine, répondit-il d’un ton goguenard en lui tournant le dos, vos fautes retomberont sur ma tête.

Il sortait, charmé de ce trait d’esprit ; elle le retint encore, et tout ce qu’une femme au désespoir peut inventer d’humble, de touchant et de pathétique, elle sut le trouver en cet instant de crise. Elle fut si éloquente et si vraie que M. de Lansac, surpris de son esprit, la regarda quelques instants d’un air qui lui fit espérer de l’avoir attendri. Mais il se dégagea doucement en lui disant :

— Tout ceci est parfait, ma chère, mais c’est souverainement ridicule. Vous êtes fort jeune, profitez d’un conseil d’ami : c’est qu’une femme ne doit jamais prendre son mari pour son confesseur ; c’est lui demander plus de vertu que sa profession n’en comporte. Pour moi, je vous trouve charmante ; mais ma vie est trop occupée pour que je puisse entreprendre