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Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/81

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Athénaïs avait semblé si belle à la danse, sa parure brillante et folle lui allait si bien, elle avait recueilli tant d’éloges, son mari lui-même la regardait d’un œil noir si amoureux, qu’elle commençait à s’égayer et à se réconcilier avec la journée de ses noces. Le chevalier de Trigaud, raisonnablement gris, lui débitait des galanteries en style de Dorat, qui la faisaient à la fois rire et rougir. Peu à peu le groupe qui l’environnait, animé par quelques bouteilles d’un léger vin blanc du pays, par la danse, par les beaux yeux de la mariée, par l’occasion et l’usage, se mit à débiter ces propos graveleux qui commencent par être énigmatiques et qui finissent par devenir grossiers. C’est la coutume chez les pauvres, et même chez les riches de mauvais ton.

Athénaïs, qui se sentait jolie, qui se voyait admirée et qui ne comprenait rien à tout le reste, sinon qu’on enviait et qu’on félicitait son mari, s’efforçait de maintenir sur ses lèvres le sourire qui l’embellissait, et commençait même à répondre avec une assez friponne timidité aux brûlantes œillades de Pierre Blutty, lorsqu’une personne silencieuse vint s’asseoir à la place vide qui était à sa gauche. Athénaïs, émue malgré elle par l’imperceptible frôlement de son habit, se retourna, étouffa un cri d’effroi et devint pâle : c’était Bénédict.

C’était Bénédict, plus pâle qu’elle encore, mais grave, froid et ironique. Toute la journée il avait couru les bois comme un forcené ; le soir, désespéré de se calmer à force de fatigue, il avait résolu de voir la noce de Valentine, d’écouter les gravelures des paysans, d’entendre signaler le départ des époux pour la chambre nuptiale, et de se guérir à force de colère, de pitié et de dégoût.

« Si mon amour survit à tout cela, s’était-il dit, c’est qu’il n’y a pas de remède. »

Et, à tout hasard il avait chargé des pistolets de poche qu’il avait mis sur lui.

Il ne s’était pas attendu à trouver là cette autre noce et cette autre mariée. Depuis quelques instants il observait Athénaïs ; sa gaieté soulevait en lui un profond dédain, et il voulut se mettre au centre des dégoûts qu’il venait braver en s’asseyant auprès d’elle.

Bénédict, qui avait un caractère âpre et sceptique, un de ces esprits mécontents et frondeurs si incommodes aux ridicules et aux travers de la société, prétendait (c’était sans doute un de ses paradoxes) qu’il n’est point d’inconvenance plus monstrueuse, d’usage plus scandaleux que la publicité qu’on donne au mariage. Il n’avait jamais vu, sans la plaindre, passer au milieu de la cohue d’une noce cette pauvre jeune fille qui a presque toujours quelque amour timide dans le cœur, et qui traverse l’insolente attention, les impertinents regards, pour arriver dans les bras de son mari, déflorée déjà par l’audacieuse imagination de tous les hommes. Il plaignait aussi ce pauvre jeune homme dont on affichait l’amour aux portes de la mairie, au banc de l’église, et que l’on forçait de livrer à toutes les impuretés de la ville et de la campagne la blanche robe de sa fiancée. Il trouvait qu’en lui ôtant le voile du mystère, on profanait l’amour. Il eût voulu entourer la femme de tant de respects qu’on n’eût jamais connu officiellement l’objet de son choix, et qu’on eût craint de l’offenser en le lui nommant.

« Comment, disait-il, voulez-vous avoir des femmes aux mœurs pures, lorsque vous faites publiquement violence à leur pudeur ? quand vous les amenez vierges en présence de la foule assemblée, et que vous leur dites, en prenant cette foule à témoin, « Vous appartenez à l’homme que voici, vous n’êtes plus vierge. » Et la foule bat des mains, rit, triomphe, raille la rougeur des époux, et, jusque dans le secret de leur lit nuptial, les poursuit de ses cris et de ses chants obscènes ! les peuples barbares du Nouveau-Monde avaient de plus pieux hyménées. Aux fêtes du Soleil on amenait dans le temple un homme vierge et une femme vierge. La foule prosternée, grave et recueillie, bénissait le dieu qui créa l’amour, et, dans toute la solennité de l’amour physique et de l’amour divin, le mystère de la génération s’accomplissait sur l’autel. Cette naïveté qui vous révolte était plus chaste que vos mariages. Vous avez tant souillé la pudeur, tant oublié l’amour, tant avili la femme, que vous êtes réduits à insulter la femme, la pudeur et l’amour. »

En voyant Bénédict s’asseoir auprès de sa femme, Pierre Blutty, qui n’ignorait point l’inclination d’Athénaïs pour son cousin, jeta sur eux un regard de travers. Ses amis échangèrent avec lui le même regard de mécontentement. Tous haïssaient Bénédict pour sa supériorité dont ils le croyaient vain. Les joyeux propos s’arrêtèrent un instant ; mais le chevalier de Trigaud, qui avait pour lui une grande estime, lui fit bon accueil, et lui tendit la bouteille d’une main mal assurée. Bénédict avait un ton calme et dégagé qui fit croire à Athénaïs que son parti était pris ; elle lui fit timidement quelques prévenances auxquelles il répondit respectueusement et sans humeur.

Peu à peu les paroles libres et grivoises reprirent leur cours, mais avec l’intention évidente, de la part de Blutty et de ses amis, de leur donner une tournure insultante pour Bénédict. Celui-ci s’en aperçut aussitôt, et s’arma de cette tranquillité dédaigneuse