Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/314

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dont je ferai usage. Il en est beaucoup qu’il vaut mieux se procurer par échange. Je ne désapprouve point que, dans un grand domaine, on fasse tout chez soi, sa toile, son pain, son vin ; qu’on ait dans sa basse-cour porcs, dindes, paons, pintades, lapins, et tout ce qui peut, étant bien administré, donner quelque avantage. Mais j’ai vu avec surprise ces ménages mesquins et embarrassés, où, pour une économie toujours incertaine et souvent onéreuse, on se donnait cent sollicitudes, cent causes d’humeur, cent occasions de pertes. Les opérations rurales sont toutes utiles ; mais la plupart ne le sont que lorsqu’on a les moyens de les faire un peu en grand. Autrement, il vaut mieux se borner à son affaire et la bien conduire. En simplifiant, on rend l’ordre plus facile, l’esprit moins inquiet, les subalternes plus fidèles, et la vie domestique bien plus douce.

Si je pouvais faire faire annuellement cent pièces de toile, je verrais peut-être à me donner chez moi cet embarras : mais irais-je, pour quelques aunes, semer du chanvre et du lin, avoir soin de le faire rouir, de le faire tiller, avoir des fileuses, envoyer je ne sais où faire la toile, et encore ailleurs la blanchir ? Quand tout serait bien calculé, quand j’aurais évalué les pertes, les infidélités, l’ouvrage mal fait, les frais indirects, je suis persuadé que je trouverais ma toile très-chère. Au lieu que, sans tout ce soin, je la choisis comme je veux. Je ne la paye que ce qu’elle vaut réellement, parce que j’en achète une quantité à la fois et que je la prends dans un magasin. D’ailleurs, je ne change de marchands, comme d’ouvriers ou de domestiques, que quand il m’est impossible de faire autrement : cela, quoi que l’on dise, arrive rarement, quand on choisit avec l’intention de ne pas changer, et que l’on fait de son côté ce qui est juste pour les satisfaire soi-même.