Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/99

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je m’arrêtai longtemps dans les gorges d’Aspremont. Vers le soir, je m’approchai des solitudes du Grand-Franchart, ancien monastère isolé dans les collines et les sables ; ruines abandonnées que, même loin des hommes, les vanités humaines consacrèrent au fanatisme de l’humilité, à la passion d’étonner le peuple. Depuis ce temps, des brigands y remplacèrent, dit-on, les moines ; ils y ramenèrent des principes de liberté, mais pour le malheur de ce qui n’était pas libre avec eux. La nuit approchait ; je me choisis une retraite dans une sorte de parloir dont j’enfonçai la porte antique, et où je rassemblai quelques débris de bois avec de la fougère et d’autres herbes, afin de ne point passer la nuit sur la pierre. Alors je m’éloignai pour quelques heures encore : la lune devait éclairer.

Elle éclaira en effet, et faiblement, comme pour ajouter à la solitude de ce monument désert. Pas un cri, pas un oiseau, pas un mouvement n’interrompit le silence durant la nuit entière. Mais, quand tout ce qui nous opprime est suspendu, quand tout dort et nous laisse au repos, les fantômes veillent dans notre propre cœur.

Le lendemain, je pris au midi. Pendant que j’étais entre les hauteurs, il se fit un orage que je vis se former avec beaucoup de plaisir. Je trouvai facilement un abri dans ces rocs presque partout creusés ou suspendus les uns sur les autres. J’aimais à voir, du fond de mon antre, les genévriers et les bouleaux résister à l’effort des vents, quoique privés d’une terre féconde et d’un sol commode, et conserver leur existence libre et pauvre, quoiqu’ils n’eussent d’autre soutien que les parois des roches entr’ouvertes entre lesquelles ils se balançaient, ni d’autre nourriture qu’une humidité terreuse amassée dans les fentes où leurs racines s’étaient introduites.

Dès que la pluie diminua, je m’enfonçai dans les bois humides et embellis. Je suivis les bords de la forêt vers