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REVUE INTERNATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT

conférences à l’École Normale supérieure et il est question de pourvoir à son remplacement à l’École des Hautes Études. Ces circonstances permirent de juger de son désintéressement scientifique, de son dévouement à son œuvre et de son attachement à l’École : il offrit en effet de continuer ses conférences gratuitement. Enfin, au prix d’un léger sacrifice, le maître put poursuivre cette tâche à laquelle il se dévouait de tout son cœur. À la fin de cette même année, M. J. Nicole ayant été appelé à l’Université de Genève, son enseignement fut en partie confié à Charles Graux. Enfin en 1876, grâce à la nomination de M. Weil qu’il désirait depuis longtemps, M. Tournier put établir le triennium auquel lui et ses collaborateurs se sont conformés jusqu’en 1895, époque où, d’un commun accord, certaines parties furent abandonnées,

À l’École des Hautes Études, M. Tournier prêcha toujours d’exemple ; son exactitude était aussi remarquable que son ardeur au travail. Dans ses conférences ont été discutées de nombreuses conjectures sur divers auteurs, notamment sur Hérodote et sur Lucien, qui ont trouvé place dans les éditions classiques de ces auteurs procurées par lui en 1874 et en 1881.

D’autres furent publiées dans la Revue de Philologie dont la fondation restera un de ses plus beaux titres. Nous ne pouvons ici rapporter toutes les difficultés qu’il lui fallut vaincre ; disons seulement qu’il eut besoin de toute son énergie et de toute la passion qu’il portait à la philologie pour les surmonter et pour donner, après un si long intervalle, une suite à la publication inaugurée en 18$#5 par. Léon Renier, Letronne et Dübner et interrompue deux ans après. Il réussit avec lu collaboration de Ch. Graux et de M. Louis Havet à fonder à nouveau un recueil destiné à durer de longues années. Il y joignit la Revue des Revues, publication d’un genre tout nouveau dont le plan et l’organisation matérielle étaient son œuvre jusque dans les moindres détails, Cette Revue des Revues, et publications d’Académies relatives à l’antiquité classique devait faciliter les recherches des érudits et devenir « pour les philologues et les antiquaires de toute nation un indispensable répertoire de renseignements ».

En même temps la clarté et l’originalité de son esprit lui faisaient donner un cadre nouveau à toutes les matières d’enseignement ; ces petits livres les Premiers éléments de grammaire grecque en collaboration avec le regretté Riemann, et la Clef du vocabulaire grec se recommandent par une nouveauté et une ingéniosité de disposition qui donnent de l’intérêt à ces matières élémentaires.

M. Tournier avait au plus haut degré l’esprit d’organisation ; il avait pris autrefois une grande part à la fondation de la Société de Linguistique et l’on peut regarder comme son œuvre celle de la Société des Humanistes français qui a réuni les amis des lettres grecques, latines et françaises. Il fut, en qualité de secrétaire général un des membres les plus actifs de cette société, et fréquenta très assidûment ses séances, surtout celles de français, car il voulait montrer que la méthode de la critique verbale est applicable à la publication du texte de nos écrivains classiques.

Nous l’avons vu, à soixante ans passés, apporter dans ces réunions les qualités et l’ardeur qui avaient fait de lui un maître de premier ordre et donné à ses leçons de l’École des Hautes Études leur caractère particulier. Ce que furent ces leçons, je voudrais le rappeler en quelques mots ; les Notes critiques sur Colluthus et surtout le dixième fascicule de notre bibliothèque peuvent en donner une idée. La première année, comme M. Tournier l’a dit lui-même, les élèves n’avaient pas eu de rôle actif, sauf aux conférences de paléographie où chacun à tour de rôle déchiffrait à haute voix quelques lignes d’un fac-similé. Mais le maître n’entendait pas qu’il en fût toujours ainsi : il n’aurait pas cru enseigner réellement la critique verbale s’il s’était borné à apporter à ses élèves, dans une brillante leçon qu’il aurait pu écrire ou improviser, les résultats de son travail ; il voulait leur apprendre à obtenir eux-mêmes ces