Page:Souvestre, Laurens de la Barre, Luzel - Contes et légendes de Basse-Bretagne.djvu/113

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— Vous n’allez pas m’abandonner, au moins ? dit la belle en pleurnichant.

— Comment faire ? répondit Trémeur, assez inquiet. Je vous ai sauvée, ma belle dame, pour vous rendre à votre père. Où est-il ? dites-le : je vous conduirai n’importe où…, si le temps est couvert.

— C’est inutile, reprit la commère ; mon père ne me recevra plus chez lui, parce qu’un chrétien m’a portée dans ses bras. Je suis perdue ! Ah ! ah ! ah !…

Et puis des larmes, en veux-tu ? en voilà.

Le bon Trémeur, dans cette terrible passe, éprouvait comme on dit, une fiére suée. Si bien que le beurre fondait, fondait toujours de plus en plus. Voilà qui va mal ! Encore quelques minutes, et sa tête, qui branlait déjà, allait glisser de dessus ses épaules…

Par bonheur, il se rappela que saint Herbot lui avait dit de faire le signe de la croix, quand il se verrait en mauvaise veine. Ayant donc fait son signe de croix fort à propos, il ressentit subitement une sorte de frisson ; la colle cessa de fondre, et, à la place où la jeune fille avait été assise, il ne vit plus rien, rien du tout que le gazon fumant et roussi… Il comprit que le diable était là-dessous et jura de plus belle que dorénavant on ne l’y prendrait plus, à se mêler d’aventures concernant fille, femme ou veuve.