Page:Souvestre, Laurens de la Barre, Luzel - Contes et légendes de Basse-Bretagne.djvu/40

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on peut affirmer aujourd’hui, pour la Basse-Bretagne, que plus d’un conte existait avant la légende, avant l’ère chrétienne. Mais impossible de remonter au delà sans se lancer dans les hypothèses : c’est l’impénétrable énigme des alignements.

Elles restent debout, malgré l’assaut des siècles, les grandes pierres mystérieuses, éparses dans les landes de Carnac. La pluie a creusé des rigoles dans leurs flancs massifs ; la mousse et le lichen masquent les teintes claires de leur granit. Ils sont là pourtant, ces témoins, ces fantômes. Nul n’a pénétré le secret de leur naissance, nul ne prévoit leur mort ; mais, à les contempler toujours fiers, toujours muets dans leur immobilité farouche, on croirait volontiers qu’ils ont assisté aux premiers ébats de l’humanité, et qu’ils ne s’émietteront qu’avec sa ruine. Quelques-uns, sans doute, ont été profanés : des églises ont été construites, dont ils forment les autels ; des maisons, dont ils font les murs. Mais l’ère des sacrilèges est close, et les menhirs qui demeurent se dresseront, désormais inviolables, grâce à la piété filiale de Bretons qui se sont souvenus.

Ainsi des contes. Le peuple les a créés de sa chair ou infusés dans son jeune sang, et il en a retenu des centaines dont on distingue, sous un manteau de brume, la forme primitive. Les croyants en ont tiré des légendes, et les sceptiques, des romans ; puis les savants sont arrivés, qui en ont garanti la survivance. Il y a des monuments de pierre brute dans presque tous les pays du monde ; mais les menhirs, en Breiz-Izel, sont plus nombreux que nulle part ailleurs, et ils s’harmonisent à merveille avec les grèves et les landiers : si bien que, quand un peintre veut représenter la Bretagne, il met un paysan à l’ombre d’une grande pierre. Gardons nos contes et nos légendes ; ne sont-ils pas, aussi eux, la patrie ?


Adrien OUDIN.