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MAROUSSIA

Le vieux musicien n’avait rien perdu de tout ce discours. Jugea-t-il qu’il en avait assez entendu ou assez fait entendre ?

Tout à coup il entonna un air si enjoué, si entraînant, si gai, qu’il eût donné envie de danser même à des ermites.

C’était l’histoire d’une jeune et solide fille qui vendait son jupon pour acheter une pipe à son fiancé et qui la lui portait tout allumée à travers une grêle de balles sur le champ de bataille. Tout de suite l’humeur générale avait changé. Les plus vieux battaient la mesure ; les jeunes faisaient chorus au chanteur : « Quel fameux chanteur ! disait-on, et quels sons il tire de son théorbe ! La bonne soirée, et qui pouvait s’y attendre ! »

Le vieux chanta encore quelques chansonnettes du même genre, à la grande joie des soldats, qui de tous les coins du camp avaient fini par accourir ; puis il se leva et fit ses adieux à ses nombreux amis. Quelques-uns lui firent la conduite.

« Reste donc, vieil entêté, reste jusqu’à demain. Les nuits sont froides, et les routes ne sont pas sûres. Dis-lui donc, petite, de rester jusqu’au matin. Bon gîte et bon souper valent bien qu’on attende. Il n’est pas si pressé, que diable ! La recette a été bonne. Le petit officier blond t’a mis dans la main une pièce d’or. Je l’ai vue ; avec cela ton grand-père pourra t’acheter une belle robe. »