Page:Vallat - Le Génie de Rabelais, 1880.djvu/25

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juge suprême, l’autorité dernière. Ils ne pensaient, ne raisonnaient, ne jugeaient que par lui. Ils le vénéraient à l’égal d’un saint, et sa doctrine, l’aristotélisme, était l’unique loi de l’école, à laquelle on devait obéir, sous peine de passer pour hérétique et d’être traité comme tel[1]. Et celui, à qui l’on rendait des honneurs presque divins, était-il toujours le véritable Aristote, l’Aristote grec, le génie peut-être le plus vaste et l’esprit le plus fin de l’antiquité ? N’était-ce pas quelquefois un Aristote de fantaisie, mal interprété sous l’influence de la version et des commentaires arabes qu’une traduction latine avait jadis introduits en Europe, par exemple l’Aristote dénaturé par les subtilités du fameux Docteur franciscain Duns Scot, l’auteur des Barbouillamenta[2], principal ornement de la magnifique librairie de Saint-Victor ? Quoi qu’il en soit, Rabelais blâme l’usage immodéré de l’aristotélisme, en se moquant des abus de la méthode

  1. Qu’il suffise de rappeler, comme exemple à jamais mémorable de criminelle folie en ce genre, que, en plein XVIe siècle, Pierre La Ramée, plus connu sous le nom de Ramus, pour s’être déclaré l’adversaire de l’aristotélisme, subit d’odieuses persécutions et finit par être égorgé la nuit de la Saint-Barthélémy.
  2. Pantagruel. Livre II, chapitre VII. Mot plaisant pour indiquer l’obscurité qui résulte du raffinement dans ses théories philosophiques.