Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/186

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Malgré les jours vécus, ô triste cécité
Des chemineaux errants vers la félicité !
De croire que là-bas, par derrière les brumes,
Resplendit l’idéal et l’oracle de Cumes,
Et qu’on verra monter des nymphes sur la mer,
— Illumination de notre rire amer : —
Pauvres bigles venus aux banquets de Sylvie,
Qui broyons lentement notre tranche de vie.


Entre les peupliers du long chemin poudreux,
La mamelle des nuits verse son lait cendreux,
Qui sur les talus verts s’étale en larges flaques,
Où dorment, sur le dos, dans leurs vieilles casaques,
Les satyres ventrus, ivres et débauchés,
Bouche ouverte, semblant boire encore, couchés
Dans les ors des genêts et l’argent de la boue,
Ce laitage pressé qui coule sur leurs joues.
Tous ces clous de saphirs piqués au toit d’azur,
Percent de leurs reflets striés le clair obscur,
Et l’horreur d’un Silence énorme et lourd, encombre,
Fatidique rocher, l’immensité de l’Ombre :
C’est l’heure de la Vie.