Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/52

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que ou symboliste ne peut être extériorisée. Semblable aux monades dont parle Leibnitz, elle se présente sans portes ni fenêtres, d’un bloc. En présence d’une intuition, sous la poussée du débord mystique, les mots disparaissent, introuvables ; on ne peut plus guère parler que par exclamations, Dieu, Nature, Être, cœur, sentiment ! et lorsqu’on a lancé un vocatif on a tout dit. Ah ! si les mots étaient assez ductiles, assez malléables, assez règle de plomb pour s’adapter sans solution de continuité à tous nos états d’âme ! Mais non ; il n’existe pas d’expressions assez nombreuses, assez polychromes pour s’assortir à tous nos sentiments. Des mots hélas ! trop généraux doivent épingler nos émotions et les faire saigner. Chaque parole tue la voix intérieure, fige la vie en des attitudes conventionnelles. « Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle[1]. Sitôt qu’on pénètre à l’intérieur de la réalité vivante, l’expression, quelque creusée qu’elle soit, se brise sous la poussée de l’idée, et sa plus intime finesse se change en marbre qui s’effrite. Aucun vocable n’a prise sur la pente lisse de l’im-

  1. Bergson. Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 99.