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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/412

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CHAPITRE XLVI.

l’Allemagne était unie sous les Othons. Henri IV se vit entouré près de Spire par l’armée des confédérés, qui se prévalaient de la bulle du pape. Le gouvernement féodal devait alors amener de pareilles révolutions. Chaque prince allemand était jaloux de la puissance impériale, comme le haut baronnage en France était jaloux de celle de son roi. Le feu des guerres civiles couvait toujours, et une bulle lancée à propos pouvait l’allumer.

Les princes confédérés ne donnèrent la liberté à Henri IV qu’à condition qu’il vivrait en particulier et en excommunié dans Spire, sans faire aucune fonction ni de chrétien ni de roi, en attendant que le pape vînt présider dans Augsbourg à une assemblée de princes et d’évêques, qui devait le juger.

Il paraît que des princes qui avaient le droit d’élire l’empereur avaient aussi celui de le déposer ; mais vouloir faire présider le pape à ce jugement, c’était le reconnaître pour juge naturel de l’empereur et de l’empire. Ce fut le triomphe de Grégoire VII et de la papauté. Henri IV, réduit à ces extrémités, augmenta encore beaucoup ce triomphe.

Il voulut prévenir ce jugement fatal d’Augsbourg, et par une résolution inouïe, passant par les Alpes du Tyrol avec peu de domestiques, il alla demander au pape son absolution. Grégoire VII était alors avec la comtesse Mathilde dans la ville de Canosse, l’ancien Canusium, sur l’Apennin, près de Reggio, forteresse qui passait alors pour imprenable. Cet empereur, déjà célèbre par des batailles gagnées, se présente à la porte de la forteresse, sans gardes, sans suite. On l’arrête dans la seconde enceinte, on le dépouille de ses habits, on le revêt d’un cilice, il reste pieds nus dans la cour ; c’était au mois de janvier 1077. On le fit jeûner trois jours, sans l’admettre à baiser les pieds du pape, qui pendant ce temps était enfermé avec la comtesse Mathilde, dont il était depuis longtemps le directeur. Il n’est pas surprenant que les ennemis de ce pape lui aient reproché sa conduite avec Mathilde. Il est vrai qu’il avait soixante-deux ans ; mais il était directeur, Mathilde était femme, jeune et faible. Le langage de la dévotion, qu’on trouve dans les lettres du pape à la princesse, comparé avec les emportements de son ambition, pouvait faire soupçonner que la religion servait de masque à toutes ses passions ; mais aucun fait, aucun indice n’a jamais fait tourner ces soupçons en certitude. Les hypocrites voluptueux n’ont ni un enthousiasme si permanent, ni un zèle si intrépide. Grégoire passait pour austère, et c’était par là qu’il était dangereux.

Enfin l’empereur eut la permission de se prosterner aux pieds