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GRAND SCHISME D’OCCIDENT.

prêtres français. Peu de temps après, une armée du pape Clément, levée dans le royaume de Naples, se présente à quelques lieues de Rome devant les troupes d’Urbain.

Chacune des armées portait les clefs de saint Pierre sur ses drapeaux. Les Clémentins furent vaincus. Il ne s’agissait pas seulement de l’intérêt de ces deux pontifes : Urbain, vainqueur, qui destinait une partie du royaume de Naples à son neveu, en déposséda la reine Jeanne, protectrice de Clément, laquelle régnait depuis longtemps dans Naples avec des succès divers, et une gloire souillée.

Nous avons vu[1] cette reine assassinée par son cousin, Charles de Durazzo, avec qui Urbain voulait partager le royaume de Naples. Cet usurpateur, devenu possesseur tranquille, n’eut garde de tenir ce qu’il avait promis à un pape qui n’était pas assez puissant pour l’y contraindre.

Urbain, plus ardent que politique, eut l’imprudence d’aller trouver son vassal sans être le plus fort. L’ancien cérémonial obligeait le roi de baiser les pieds du pape et de tenir la bride de son cheval : Durazzo ne fit qu’une de ces deux fonctions ; il prit la bride, mais ce fut pour conduire lui-même le pape en prison. Urbain fut gardé quelque temps prisonnier à Naples, négociant continuellement avec son vassal, et traité tantôt avec respect, tantôt avec mépris. Le pape s’enfuit de sa prison, et se retira dans la petite ville de Nocera. Là il assembla bientôt les débris de sa cour. Ses cardinaux et quelques évêques, lassés de son humeur farouche, et plus encore de ses infortunes, prirent dans Nocera des mesures pour le quitter, et pour élire à Rome un pape plus digne de l’être. Urbain, informé de leur dessein, les fit tous appliquer en sa présence à la torture. Bientôt obligé de s’enfuir de Naples et de se retirer dans la ville de Gênes, qui lui envoya quelques galères, il traîna à sa suite ces cardinaux et ces évêques estropiés et enchaînés. Un des évêques, demi-mort de la question qu’il avait soufferte, ne pouvant gagner le rivage assez tôt au gré du pape, il le fit égorger sur le chemin. Arrivé à Gênes, il se délivra par divers supplices de cinq de ces cardinaux prisonniers. Les Caligula et les Néron avaient fait des actions à peu près semblables ; mais ils furent punis, et Urbain mourut paisiblement à Rome. Sa créature et son persécuteur, Charles de Durazzo, fut plus malheureux, car, étant allé en Hongrie pour envahir la couronne, qui ne lui appartenait point, il y fut assassiné (1389).

Après la mort d’Urbain, cette guerre civile paraissait devoir

  1. Chapitre lxix.