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CHAPITRE CIX.

pas convaincu d’être un fourbe ? Peut-être était-il encore plus fanatique : l’imagination humaine est capable de réunir ces deux excès, qui semblent s’exclure. Si la justice seule l’eût condamné, la prison, la pénitence, auraient suffi ; mais l’esprit de parti s’en mêla. On le condamna, lui et deux dominicains, à mourir dans les flammes qu’ils s’étaient vantés d’affronter. Ils furent étranglés avant d’être jetés au feu (13 mai 1498). Ceux du parti de Savonarole ne manquèrent pas de lui attribuer des miracles : dernière ressource des adhérents d’un chef malheureux. N’oublions pas qu’Alexandre VI lui envoya, dès qu’il fut condamné, une indulgence plénière.

Vous regardez en pitié toutes ces scènes d’absurdité et d’horreur ; vous ne trouvez rien de pareil ni chez les Romains et les Grecs, ni chez les barbares. C’est le fruit de la plus infâme superstition qui ait jamais abruti les hommes, et du plus mauvais des gouvernements. Mais vous savez qu’il n’y a pas longtemps que nous sommes sortis de ces ténèbres, et que tout n’est pas encore éclairé.

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CHAPITRE CIX.


De Pic de la Mirandole.


Si l’aventure de Savonarole fait voir quel était encore le fanatisme, les thèses du jeune prince de La Mirandole nous montrent en quel état étaient les sciences. C’est à Florence et à Rome, chez les peuples alors les plus ingénieux de la terre, que se passent ces deux scènes différentes. Il est aisé d’en conclure quelles ténèbres étaient répandues ailleurs, et avec quelle lenteur la raison humaine se forme.

C’est toujours une preuve de la supériorité des Italiens dans ces temps-là que Jean-François Pic de La Mirandole, prince souverain, ait été dès sa plus tendre jeunesse un prodige d’étude et de mémoire : il eût été dans notre temps un prodige de véritable érudition. Le goût des sciences fut si fort en lui qu’à la fin il renonça à sa principauté, et se retira à Florence, (1494) où il mourut le même jour que Charles VIII fit son entrée dans cette ville. On dit qu’à l’âge de dix-huit ans il savait vingt-deux langues.