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CHAPITRE CXVII.

où les hommes sont lâches à proportion que leurs maîtres sont cruels. Ce parlement déclara que la mère de Richard III avait été adultère ; que ni le feu roi Édouard IV, ni ses autres frères, n’étaient légitimes ; que le seul qui le fût était Richard, et qu’ainsi la couronne lui appartenait à l’exclusion des deux jeunes princes étranglés dans la Tour, mais sur la mort desquels on ne s’expliquait pas. Les parlements ont fait quelquefois des actions plus cruelles, mais jamais de si infâmes. Il faut des siècles entiers de vertu pour réparer une telle lâcheté.

Enfin au bout de deux ans et demi il parut un vengeur. Il restait après tous les princes massacrés un seul rejeton de la rose rouge, caché dans la Bretagne. On l’appelait Henri, comte de Richmond. Il ne descendait point de Henri VI. Il rapportait, comme lui, son origine à Jean de Gand, duc de Lancastre, fils du grand Édouard III, mais par les femmes, et même par un mariage très-équivoque de ce Jean de Gand. Son droit au trône était plus que douteux ; mais l’horreur des crimes de Richard III le fortifiait. Il était encore fort jeune quand il conçut le dessein de venger le sang de tant de princes de la maison de Lancastre, de punir Richard III, et de conquérir l’Angleterre. Sa première tentative fut malheureuse ; et après avoir vu son parti défait, il fut obligé de retourner en Bretagne mendier un asile. Richard négocia secrètement, pour l’avoir en sa puissance, avec le ministre de François II, duc de Bretagne, père d’Anne de Bretagne qui épousa Charles VIII et Louis XII. Ce duc n’était pas capable d’une action lâche, mais son ministre Landais l’était. Il promit de livrer le comte de Richmond au tyran. Le jeune prince s’enfuit, déguisé, sur les terres d’Anjou, et n’y arriva qu’une heure avant les satellites qui le cherchaient.

Il était de l’intérêt de Charles VIII, alors roi de France, de protéger Richmond. Le petit-fils de Charles VII, qui pouvait nuire aux Anglais, et qui les eût laissés en repos, eût manqué au premier devoir de la politique. Mais Charles VIII ne donna que deux mille hommes. C’en était assez, supposé que le parti de Richmond eût été considérable. Il le devint bientôt ; et Richard même, quand il sut que son rival ne débarquait qu’avec cette escorte, jugea que Richmond trouverait bientôt une armée. Tout le pays de Galles, dont ce jeune prince était originaire, s’arma en sa faveur. Richard III et Richmond combattirent à Bosworth, près de Lichfield. Richard avait la couronne en tête, croyant avertir par là ses soldats qu’ils combattaient pour leur roi contre un rebelle. Mais le lord Stanley, un de ses généraux, qui voyait