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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/355

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DES ORDRES RELIGIEUX.

l’Église : un zèle imprudent abolit avec le temps ce que la sagesse avait établi.

Un des plus horribles abus de l’état monastique, mais qui ne tombe que sur ceux qui, ayant eu l’imprudence de se faire moines, ont le malheur de s’en repentir, c’est la licence que les supérieurs des couvents se donnent d’exercer la justice et d’être chez eux lieutenants criminels : ils enferment pour toujours dans des cachots souterrains ceux dont ils sont mécontents, ou dont ils se défient. Il y en a mille exemples en Italie, en Espagne ; il y en a eu en France : c’est ce que dans le jargon des moines ils appellent être in pace, à l’eau d’angoisse et au pain de tribulation.

Vous trouverez dans l’Histoire du Droit public ecclésiastique[1], auquel travailla M. d’Argenson[2], le ministre des affaires étrangères, homme beaucoup plus instruit et plus philosophe qu’on ne croyait ; vous trouverez, dis-je, que l’intendant de Tours délivra un de ces prisonniers, qu’il découvrit difficilement après les plus exactes recherches. Vous verrez que M. de Coislin, évêque d’Orléans, délivra un de ces malheureux moines enfermé dans une citerne bouchée d’une grosse pierre. Mais ce que vous ne lirez pas, c’est qu’on ait puni l’insolence barbare de ces supérieurs monastiques, qui s’attribuaient le droit de la puissance royale, et qui l’exerçaient avec tant de tyrannie[3].

La politique semble exiger qu’il n’y ait pour le service des autels, et pour les autres secours, que le nombre de ministres nécessaire : l’Angleterre, l’Écosse, et l’Irlande, n’en ont pas vingt mille. La Hollande, qui contient deux millions d’habitants, n’a pas mille ecclésiastiques ; encore ces hommes consacrés à l’église, étant presque tous mariés, fournissent des sujets à la patrie, et des sujets élevés avec sagesse.

On comptait en France, vers l’an 1700, plus de deux cent cinquante mille ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers ; et c’est beaucoup plus que le nombre ordinaire de ses soldats. Le clergé de l’État du pape composait environ trente-deux mille hommes,

  1. Tome Ier, page 399. (Note de Voltaire.)
  2. L’Histoire du Droit public ecclésiastique français, par M. D. B. (du Boullay, avocat), parut en 1737, 2 volumes in-8o ; une nouvelle édition augmentée fut publiée en 1750, 2 volumes in-4o ou 3 volumes in-12. (Voyez le n° 8023 de la seconde édition du Dictionnaire des ouvrages anonymes, par A.-A Barbier.) Dans son Dictionnaire philosophique, article Esclaves, 4e section, Voltaire dit que d’Argenson a eu la meilleure part au Droit public ecclésiastique. (B.)
  3. Le parlement de Paris punit en 1763 les moines de Clervaux d’une vexation semblable : il leur en coûta quarante mille écus. (Note de Voltaire.)