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CHAPITRE LXXVIII.

tamare. On dit que, transporté de fureur, il se jeta, quoique désarmé, sur son frère. Ce qui est vrai, c’est que ce frère lui arracha la vie d’un coup de poignard.

Ainsi périt don Pèdre à l’âge de trente-quatre ans, et avec lui s’éteignit la race de Castille. Son ennemi, son frère, son assassin, parvint à la couronne sans autre droit que celui du meurtre : c’est de lui que sont descendus les rois de Castille, qui ont régné en Espagne jusqu’à Jeanne, qui fit passer ce sceptre dans la maison d’Autriche par son mariage avec Philippe le Beau, père de Charles-Quint.

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CHAPITRE LXXVIII.


De la France et de l’Angleterre du temps du roi Charles V. Comment ce prince habile dépouille les Anglais de leurs conquêtes. Son gouvernement. le roi d’Angleterre Richard II, fils du Prince Noir, détrôné.


La dextérité de Charles V sauvait la France du naufrage. La nécessité d’affaiblir les vainqueurs, Édouard III et le Prince Noir, lui tint lieu de justice. Il profita de la vieillesse du père et de la maladie du fils attaqué de l’hydropisie. Il sut d’abord semer la division entre ce prince souverain de Guienne et ses vassaux, éluder les traités, refuser le reste du payement de la rançon de son père, sur des prétextes plausibles ; s’attacher le nouveau roi de Castille, et même ce roi de Navarre, Charles, surnommé le Mauvais, qui avait tant de terres en France ; susciter le nouveau roi d’Écosse, Robert Stuart, contre les Anglais ; remettre l’ordre dans les finances, faire contribuer les peuples sans murmures, et réussir enfin, sans sortir de son cabinet, autant que le roi Édouard, qui avait passé la mer et gagné des batailles.

Quand il vit toutes les machines que sa politique arrangeait bien affermies, il fit une de ces démarches audacieuses qui pourraient passer pour des témérités en politique, si les mesures bien prises et l’événement ne les justifiaient. (1369) Il envoie un chevalier et un juge de Toulouse citer le Prince Noir à comparaître devant lui dans la cour des pairs, et à venir rendre compte de sa conduite. C’était agir en juge souverain avec le vainqueur de son