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CHAPITRE CLXXI.

CHAPITRE CLXXI.


De la France. Minorité de Charles IX.


Dans toutes les minorités des souverains, les anciennes constitutions d’un royaume reprennent toujours un peu de vigueur, du moins pour un temps, comme une famille assemblée après la mort du père. On tint à Orléans, et ensuite à Pontoise, des états généraux : ces états doivent être mémorables par la séparation éternelle qu’ils mirent entre l’épée et la robe. Cette distinction fut ignorée dans l’empire romain jusqu’au temps de Constantin. Les magistrats savaient combattre, et les guerriers savaient juger. Les armes et les lois furent aussi dans les mêmes mains chez toutes les nations de l’Europe, jusque vers le XIVe siècle. Peu à peu ces deux professions furent séparées en Espagne et en France ; elles ne l’étaient pas absolument en France, quoique les parlements ne fussent plus composés que d’hommes de robe longue. Il restait la juridiction de baillis d’épée, telle que dans plusieurs provinces allemandes, ou frontières de l’Allemagne. Les états d’Orléans, convaincus que ces baillis de robe courte ne pouvaient guère s’astreindre à étudier les lois, leur ôtèrent l’administration de la justice, et la conférèrent à leurs seuls lieutenants de robe longue : ainsi ceux qui par leurs institutions avaient toujours été juges cessèrent de l’être[1].

Le chancelier de L’Hospital eut la principale part à ce changement. Il fut fait dans le temps de la plus grande faiblesse du

  1. Ces fonctions n’ont pu être confondues que chez des peuples où les lois étaient simples, et qui n’avaient point de troupes réglées toujours subsistantes. Alors un même homme remplissait tour à tour toutes les fonctions de la société, comme chaque philosophe embrassait toute l’étendue des sciences, lorsque les détails de chacune étaient très-peu étendus. À Rome, les fonctions de militaire et de magistrat commencèrent à se séparer longtemps avant la destruction de la république, quoique jamais elles n’aient appartenu à des ordres séparés. Un général était le juge suprême des provinces qu’il gouvernait ; un jurisconsulte, devenu préteur ou proconsul, commandait les troupes de sa province. Mais ce mélange n’avait lieu que pour les personnages de cet ordre : les jurisconsultes se formaient au barreau, et les guerriers dans les camps. Le mal n’est donc pas en France d’avoir séparé ces fonctions, mais d’avoir formé deux ordres de ceux qui les remplissent. Il serait ridicule que les militaires voulussent juger, comme il le serait qu’un géomètre voulût enseigner la chimie ; mais toute distinction légale, toute exclusion en ce genre est nuisible à la société. (K.)