Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
DU DANEMARK AU XVIIe SIÈCLE.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

mille gentilshommes, de cent ecclésiastiques, de cent cinquante bourgeois, et d’environ deux cent cinquante paysans, faisaient les lois du royaume. On n’y connaissait, non plus qu’en Danemark et dans le Nord, aucun de ces titres de comte, de marquis, de baron, si fréquents dans le reste de l’Europe. Ce fut le roi Éric, fils de Gustave Vasa, qui les introduisit vers l’an 1561. Cet Éric cependant était bien loin de régner avec un pouvoir absolu, et il laissa au monde un nouvel exemple des malheurs qui peuvent suivre le désir d’être despotique, et l’incapacité de l’être. (1569) Le fils du restaurateur de la Suède fut accusé de plusieurs crimes par devant les états assemblés, et déposé par une sentence unanime, comme le roi Christiern II l’avait été en Danemark : on le condamna à une prison perpétuelle, et on donna la couronne à Jean son frère.

Comme notre principal dessein, dans cette foule d’événements, est de porter la vue sur ceux qui tiennent aux mœurs et à l’esprit du temps, il faut savoir que ce roi Jean, qui était catholique, craignant que les partisans de son frère ne le tirassent de sa prison et ne le remissent sur le trône, lui envoya publiquement du poison, comme le sultan envoie un cordeau, et le fit enterrer avec solennité, le visage découvert, afin que personne ne doutât de sa mort, et qu’on ne pût se servir de son nom pour troubler le nouveau règne.

(1580) Le jésuite Possevin, que le pape Grégoire XIII envoya dans la Suède et dans tout le Nord, en qualité de nonce, imposa au roi Jean, pour pénitence de cet empoisonnement, de ne faire qu’un repas tous les mercredis ; pénitence ridicule, mais qui montre au moins que le crime doit être expié. Ceux du roi Éric avaient été punis plus rigoureusement.

Ni le roi Jean, ni le nonce Possevin, ne purent réussir à faire dominer la religion catholique. Le roi Jean, qui ne s’accommodait pas de la luthérienne, tenta de faire recevoir la grecque ; mais il n’y réussit pas davantage. Ce roi avait quelque teinture des lettres, et il était presque le seul dans son royaume qui se mêlât de controverse. Il y avait une université à Upsal, mais elle était réduite à deux ou trois professeurs sans étudiants. La nation ne connaissait que les armes, sans avoir pourtant fait encore de progrès dans l’art militaire. On n’avait commencé à se servir d’artillerie que du temps de Gustave Vasa ; les autres arts étaient si inconnus que, quand ce roi Jean tomba malade, en 1592, il mourut sans qu’on pût lui trouver un médecin, tout au contraire des autres rois, qui quelquefois en sont trop environnés. Il n’y avait encore ni médecin ni chirurgien en Suède. Quelques épiciers