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CHAPITRE CXCV.

silence sur le reste, et en chassant les missionnaires. Cet empereur, nommé Yongtching, leur dit ces propres paroles, qu’ils ont eu la bonne foi de rapporter dans leurs lettres intitulées curieuses et édifiantes :

« Que diriez-vous si j’envoyais une troupe de bonzes et de lamas dans votre pays ? comment les recevriez-vous ? Si vous avez su tromper mon père, n’espérez pas me tromper de même. Vous voulez que les Chinois embrassent votre loi. Votre culte n’en tolère point d’autre, je le sais : en ce cas que deviendrons-nous ? les sujets de vos princes. Les disciples que vous faites ne connaissent que vous. Dans un temps de troubles ils n’écouteraient d’autre voix que la vôtre. Je sais bien qu’à présent il n’y a rien à craindre ; mais quand les vaisseaux viendront par milliers, il pourrait y avoir du désordre. »

Les mêmes jésuites qui rendent compte de ces paroles avouent avec tous les autres que cet empereur était un des plus sages et des plus généreux princes qui aient jamais régné ; toujours occupé du soin de soulager les pauvres et de les faire travailler, exact observateur des lois, réprimant l’ambition et le manège des bonzes, entretenant la paix et l’abondance, encourageant tous les arts utiles, et surtout la culture des terres. De son temps les édifices publics, les grands chemins, les canaux qui joignent tous les fleuves de ce grand empire, furent entretenus avec une magnificence et une économie qui n’a rien d’égal que chez les Romains.

Ce qui mérite bien notre attention, c’est le tremblement de terre que la Chine essuya en 1699, sous l’empereur Kang-hi. Ce phénomène fut plus funeste que celui qui de nos jours a détruit Lima et Lisbonne ; il fit périr, dit-on, environ quatre cent mille hommes. Ces secousses ont dû être fréquentes dans notre globe : la quantité de volcans qui vomissent la fumée et la flamme font penser que la première écorce de la terre porte sur des gouffres, et qu’elle est remplie de matière inflammable. Il est vraisemblable que notre habitation a éprouvé autant de révolutions en physique que la rapacité et l’ambition en ont causé parmi les peuples.

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