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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/212

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CHAPITRE II.

peut dire pour et contre, et de nous décider pour ce qui nous paraîtra plus conforme à notre raison ?

SOMMAIRE DES RAISONS EN FAVEUR DE L’EXISTENCE DE DIEU.

Il y a deux manières de parvenir à la notion d’un être qui préside à l’univers. La plus naturelle et la plus parfaite pour les capacités communes est de considérer non seulement l’ordre qui est dans l’univers, mais la fin à laquelle chaque chose paraît se rapporter. On a composé sur cette seule idée beaucoup de gros livres, et tous ces gros livres ensemble ne contiennent rien de plus que cet argument-ci : Quand je vois une montre dont l’aiguille marque les heures, je conclus qu’un être intelligent a arrangé les ressorts[1] de cette machine, afin que l’aiguille marquât les heures. Ainsi, quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu’un être intelligent a arrangé ces organes pour être reçus et nourris neuf mois dans la matrice ; que les yeux sont donnés pour voir, les mains pour prendre, etc. Mais de ce seul argument je ne peux conclure autre chose, sinon qu’il est probable qu’un être intelligent et supérieur a préparé et façonné la matière avec habileté ; mais je ne peux conclure de cela seul que cet être ait fait la matière avec rien, et qu’il soit infini en tout sens. J’ai beau chercher dans mon esprit la connexion de ces idées : « Il est probable que je suis l’ouvrage d’un être plus puissant que moi, donc cet être existe de toute éternité, donc il a créé tout, donc il est infini, etc. » Je ne vois pas la chaîne qui mène droit à cette conclusion ; je vois seulement qu’il y a quelque chose de plus puissant que moi, et rien de plus.

Le second argument est plus métaphysique, moins fait pour être saisi par les esprits grossiers, et conduit à des connaissances bien plus vastes ; en voici le précis :

J’existe, donc quelque chose existe. Si quelque chose existe, quelque chose a donc existé de toute éternité : car ce qui est, ou est par lui-même, ou a reçu son être d’un autre. S’il est par lui-même, il est nécessairement, il a toujours été nécessairement, et c’est Dieu ; s’il a reçu son être d’un autre, et ce second d’un troisième, celui dont ce dernier a reçu son être doit nécessairement être Dieu. Car vous ne pouvez concevoir qu’un être

  1. Dans les Cabales, satire, 1772 (voyez tome X), Voltaire a dit, vers 111-112 :

    L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer
    Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger.