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DE L’EXCÈS DES PERSÉCUTIONS CHRÉTIENNES.


souverain, et de ressembler aux califes, qui réunissaient les droits du trône et de l’autel. Les divisions des princes et l’ignorance des peuples favorisèrent bientôt leur entreprise. L’évêque de Rome Grégoire VII fut celui qui étala ces desseins audacieux avec le plus d’insolence. Heureusement pour nous, Guillaume de Normandie, qui avait usurpé notre trône, ne distinguant plus la gloire de notre nation de la sienne propre, réprima l’insolence de Grégoire VII, et empêcha quelque temps que nous ne payassions le denier de saint Pierre, que nous avions donné d’abord comme une aumône, et que les évêques de Rome exigeaient comme un tribut.

Tous nos rois n’eurent pas la même fermeté, et lorsque les papes, si peu puissants par leur petit territoire, devinrent les maîtres de l’Europe par les croisades et par les moines ; lorsqu’ils eurent déposé tant d’empereurs et de rois, et qu’ils eurent fait de la religion une arme terrible qui perçait tous les souverains, notre île vit le misérable roi Jean sans Terre se déclarer à genoux vassal du pape, faire serment de fidélité aux pieds du légat Pandolfe, s’obliger, lui et ses successeurs, à payer aux évêques de Rome un tribut annuel de mille marcs[1] : ce qui faisait presque le revenu de la couronne. Comme un de mes ancêtres eut le malheur de signer ce traité[2], le plus infâme des traités, je dois en parler avec plus d’horreur qu’un autre : c’est une amende honorable que je dois à la dignité de la nature humaine avilie.


CHAPITRE XXXVII[3].

DE L’EXCÈS ÉPOUVANTABLE DES PERSÉCUTIONS CHRÉTIENNES.

Il ne faut pas douter que les nouveaux dogmes inventés chaque jour ne contribuassent beaucoup à fortifier les usurpations des papes. Le hocus pocus[4], ou la transsubstantiation, dont

  1. Le légat foula à ses pieds l’argent avant de l’emporter. Notre île était alors un pays d’obédience. Nous étions réellement serfs du pape. Quel infâme esclavage ! grand Dieu ! Nous ne sommes pas assez vengés. Nous avons envoyé des vaisseaux de guerre à Gibraltar, et nous n’en avons pas envoyé au Tibre ! (Note de Voltaire.) — La première phrase de cette note est de 1771 ; le reste, de 1776.
  2. Cette phrase est peut-être une plaisanterie de Voltaire : je n’ai trouvé ce traité dans aucune des trois éditions du recueil de Rymer, intitulé Fœdera, Conventiones, etc. (B.)
  3. Addition de 1767 ; voyez la note de la page 195.
  4. Nous appelons hocus pocus un tour de gobelets, un tour de gibecière, un