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CHAPITRE XL.

Que dis-je ? Nous apprit-il jamais ce que c’est que notre âme : si elle est substance ou faculté resserrée dans un point, ou répandue dans le corps, préexistante à notre corps, ou en quel temps elle y entre ? Il nous en a donné si peu de notion que plusieurs Pères ont écrit que l’âme est corporelle.

Jésus parla si peu des dogmes que chaque société chrétienne qui s’éleva après lui eut une croyance particulière. Les premiers qui raisonnèrent s’appelèrent gnostiques, c’est-à-dire savants, qui se divisèrent en barbelonites, floriens, phébéonites, zachéens, codices, borborites, ophrites, et encore en plusieurs autres petites sectes : ainsi l’Église chrétienne n’exista pas un seul moment réunie ; elle ne l’est pas aujourd’hui, elle ne le sera jamais. Cette réunion est impossible, à moins que les chrétiens ne soient assez sages pour sacrifier les dogmes de leur invention à la morale. Mais qu’ils deviennent sages, n’est-ce pas encore une autre impossibilité ? Ce qu’on peut seulement assurer, c’est qu’il en est beaucoup qui le deviendront, et qui même le deviennent déjà tous les jours, malgré les barbares hypocrites qui veulent constamment mettre la théologie à la place de la vertu.


CHAPITRE XL.
Des querelles chrétiennes.


La discorde fut le berceau de la religion chrétienne, et en sera probablement le tombeau. Dès que les chrétiens existent, ils insultent les Juifs leurs pères, ils insultent les Romains sous l’empire desquels ils vivent ; ils s’insultent eux-mêmes réciproquement. À peine ont-ils prêché le Christ qu’ils s’accusent les uns les autres d’être antichrists.

Plus de six cents querelles, grandes ou petites, ont porté et entretenu le trouble dans l’Église chrétienne, tandis que toutes les autres religions de la terre étaient en paix ; et ce qui est très-vrai, c’est qu’il n’est aucune de ces querelles théologiques qui n’ait été fondée sur l’absurdité et sur la fraude. Voyez la guerre de langue, de plume, d’épées, et de poignards, entre les ariens et les athanasiens. Il s’agissait de savoir si Jésus était semblable au Créateur, ou s’il était identifié avec le Créateur. L’une et l’autre de ces propositions étaient également absurdes et impies : certainement vous ne les trouverez énoncées dans aucun des Évangiles, Les partisans d’Arius et ceux d’Athanase se battaient