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Elles sont les petites sœurs du roi Destin
Né chaque jour. Ce sont les Grâces du matin.

Il viendra tout chargé de deuils et de trophées.
Le roi mage ; elles vont devant, petites fées.

Ville ou ferme, à travers le vif carreau vermeil,
Leur céleste retour rit à l’humain réveil.

A leur signe renaît sous la serge ou la moire
La douceur d’être, et pas encore la mémoire ;

Et l’homme, un instant, vit aussi pur, aussi fier
Que si son aujourd’hui n’avait pas eu d’hier.

De leurs voiles de charme, avec de la lumière
Ignorante des nuits comme l’aube première,

Glissent aux plus vieux cœurs nouveau-nés en dormant
La surprise et l’orgueil du premier battement ;

Ils ne savent, récents comme un nid de colombes,
Ni les haines, ni les abandons, ni les tombes ;

Et c’est le renouveau dans la virginité
Des anciens bonheurs qui n’ont jamais été.

L’une des sœurs, que plus d’apparat environne,
Offre d’un geste d’or aux vieux porte-couronne

L’espoir nouveau du sceptre et du chef triomphant,
Comme on met des jouets au berceau d’un enfant ;

L’autre, au front de la veuve, où la ride est creusée,
Eveille un rose effroi de nouvelle épousée ;

L’autre, d’un souffle d’âme, au ciel des jeunes fois,
Fait tinter l’angélus pour la première fois !

Elles versent, mystère et clarté, tremblant rêve
De limbes qui des nuits léthéennes se lève,

L’étonnement de tout, le sourire enfantin,
Le frais espoir. Ce sont les Grâces du matin.

Mais le Destin, splendeurs, désastres, chants, bruits d’armes.
Vers la terre éblouie et la vie en alarmes

S’avance avec le jour et le ressouvenir,
Et les petites sœurs, dont l’instant va finir,