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Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/98

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JOYEUSE ET DURANDAL


La France, dans ce siècle, a deux grandes épées,
Deux glaives, l’un royal et l’autre féodal,
Dont les lames d’un flot divin furent trempées :
L’une a pour nom Joyeuse, et l’autre Durandnl.

Roland eut Durandal, Charlemagne a Joyeuse,
Sœurs jumelles de gloire, héroïnes d’acier
En qui vivait du fer l’âme mystérieuse,
Que pour son œuvre Dieu voulut s’associer.

Toutes les deux dans les mêlées
Entraient, jetant leur rude éclair,
Et les bannières étoilées
Les suivaient en flottant dans l’air !
Quand elles faisaient leur ouvrage,
L’étranger frémissait de rage.
Sarrasins, Saxons ou Danois,
Tourbe hurlante et carnassière,
Tombaient dans la rouge poussière
De ces formidables tournois !

Durandal a conquis l’Espagne ;
Joyeuse a dompté le Lombard ;
Chacune à sa noble compagne
Pouvait dire : « Voici ma part ! »
Toutes les deux ont, par le monde,
Suivi, chassé le crime immonde,
Vaincu les païens en tout lieu ;
Après mille et mille batailles,
Aucune d’elles n’a d’entailles,
Pas plus que le glaive de Dieu !

Hélas ! la même fin ne leur est pas donnée :
Joyeuse est fière et libre après tant de combats,
Et quand Roland périt dans la sombre journée,
Durandal des païens fut captive là-bas !

Elle est captive encore, et la France la pleure ;
Mais le sort différent laisse l’honneur égal,
Et la France, attendant quelque chance meilleure
Aime du même amour Joyeuse et Durandal !

(La Fille de Roland.)