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ÂME BLANCHE

Le docteur aimait le jeu pour le jeu, sans plus ; ma grand’mère, elle, aimait le jeu pour le gain et, le gain, furieusement ; aussi, il fallait voir la main mécanique aller, aller dans les tas de cartes, prestement, avec une activité fébrile ! La petite figure chafouine de Mme Veydt s’animait, ses yeux déteints lançaient des éclairs ; c’était comme une subite résurrection, un coup d’électricité qui galvanisait tout l’être. Ils jouaient au piquet, en cinq points, à deux sous la partie : le duel était acharné, opiniâtre, sans merci. La vieille dame gagnait toujours ; plus d’une fois, au beau milieu d’une partie, j’avais entendu M. Veydt, interrompant le jeu, s’écrier, avec sa dignité imperturbable, mais d’un ton fort sévère:

— Ma chère, je crois que vous trichez, je ne jouerai plus avec vous.

Les vieillards se quittaient là-dessus, sans ajouter une parole. Ils restaient toute la semaine boudeur l’un vis-à-vis de l’autre; ils se voyaient tellement peu du reste ! Puis, le dimanche, à l’heure accoutumée, Edouard Veydt sonnait la bonne :

— Wantje, les cartes ! comme si rien ne se fût passé.

À son amour tenace de toutes ses habitudes, s’ajoutait, désormais, cette satisfaction profonde de voir agir la main articulée de la paralytique. C’était son œuvre, cela ! Et une gloire sans