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ÂME BLANCHE

Je vivais dans un monde à moi, peuplé de saints personnages quelque peu fées et où tout ce qui, dans la création, est inerte s’animait, prenait une existence active, douloureuse ou heureuse. Aussi, dans mes rares promenades aux champs, je ne cueillais pas un coquelicot sang lui demander pardon d’avance du mal que j’allais lui faire, et les pommes de mon dessert, au couvent, avaient mal, elles aussi, j’en étais certaine, quand je mordais dedans.

Je finis par maudire ces jouissances si remplies d’amertume et je renonçai à blesser les fruits et les fleurs je ne cueillis plus de coquelicots et je ne mangeai plus de pommes.

Peut-être mon excessive sollicitude pour eux venait-elle de la défense qu’on m’avait toujours faite d’y toucher, chez mes grands-parents ; il y avait là quelque chose de produit par l’habitude, certes ; mais c’était bien plus qu’une habitude contractée par devoir, le sentiment qui me les faisait respecter à ce point. Pour moi, je le répète, fleurs et fruits vivaient, avaient une personnalité sensible, délicate, que froissait cruellement la brutalité des attouchements humains.

Et, à mesure que ma personne morale se compliquait ainsi, une sorte de perpétuelle surexcitation nerveuse commençait d’agiter mon être physique je ne pouvais plus supporter l’obscurité et je souffrais beaucoup, le soir,