Page:Yver - La Bergerie.djvu/219

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béien fort à la mode. On lui demanda le Puisatier. Il s’exécuta de bonne grâce. Et comme il voulait gagner largement les dix louis que Beaudry-Rogeas lui donnait pour cette soirée, il s’en retourna dire un mot à Ménessier qui demeurait au piano. En revenant face au public, il avait l’épanouissement de n’importe quel auteur sur le point de montrer son œuvre préférée. On attendit avec une anxiété légère et agréable. Il étendit son bras droit, petit et maigre, et clama :

    J’ai semé mon blé dans la terre brune !

Une émotion atroce poignit Frédéric ; il le sentit et ferma les yeux. Il revit Camille, la plaine immense et plate que couvrait le vert pâle du jeune blé ; il revit M. de Marcy en jambières de toile, en chapeau de feutre mou, si grand, si beau, semblait-il, sur ce fond d’horizon énorme et vide, comme un tableau de Millet. Toutes les sensations du grand air, de la possession terrienne, de la vie pastorale qu’il avait subies plus violemment que nul autre repassèrent alors en lui. Une minute, il vécut là-bas, dans le Cotentin. Ce fut comme un appel suprême de sa race qui le sollicita désespérément, jusque dans ce foyer de parisianisme où il se consumait. Puis il rouvrit les yeux. La voix de Gado, vibrante et